Retour au Sommaire

STAGNANT

ST MIHIEL

AULNOIS

RAMBUCOURT

LES MISERES DE L’ OCCUPATION

 De septembre 1914 à septembre 1918, la Meuse "occupée" vit un long et douloureux calvaire. 240 communes (sur 586) sont tombées sous le joug de l'occupant. Le nombre des Meusiens "occupés" est cependant assez faible : 30 000 selon certaines estimations. Cette évaluation, a première vue anormalement basse (la Meuse comptait 275 000 habitants en 1914) s'explique aisément si on tient compte de l'important exode d'août 1914, des effectifs mobilisés (40 000 environ pour tout le Département, dont 11 000 seront tués !), des déportations de civils en Allemagne, suivies pour une partie d'entre eux du rapatriement en "France Libre" via la Suisse.

Selon les lieux, les souffrances et les misères varient en importance et dans leur forme : les citadins au contact immédiat de l'occupant souffrent plus que les ruraux et ils sont davantage exposés à la disette et aux vexations, mais "la technique", le comportement de l'occupant sont partout les mêmes : il s'agit de s'imposer en vainqueur, en peuple supérieur, et de tirer le maximum des pays conquis pour l'effort de guerre allemand, sans aucune considération par la santé ou la survie de l'occupé. Si l'Allemand est draconien au plan sanitaire, c'est qu'il éprouve une peur panique ,surprenante à nos yeux, face aux épidémies.

Il procède lorsque cela lui convient à des déportations en Allemagne, en Pologne et jusqu'en Russie. Pour de nombreuses personnes âgées ou en mauvaise condition physique, les privations, les mauvais traitements sont des arrêts de morts.

Il prélève des quantités importantes de denrées alimentaires, de vêtements, de meubles, d'objets et ustensiles de toutes sortes. Il impose des contributions de guerre en numéraire, en or, en argent. Il récupère les métaux rares : le bronze, le cuivre, l'étain, le plomb et à cet effet, arrache les cloches et les orgues de nos églises, met à bas les statues dans nos villes et nos villages. Il exploite nos forêts de façon intensive.

Pour couronner son oeuvre il impose à tous' le travail forcé : femmes, vieillards, enfants à partir de 8 ans. Le Français est traité en esclave. Les femmes sont chargées de laver et de raccommoder le linge des soldats allemands. Tous sont astreints à de multiples corvées : entretien des routes, enterrement des cadavres, etc... Et dans ce "décor", comme nous l'avons déjà souligné, les maires, les instituteurs sont de pitoyables et systématiques souffre douleur.

Les populations meurent de faim et de froid... L'occupant y ajoute encore des vexations sans nombre pour lesquelles il ne tarit pas de féroce ou diabolique imagination : l'obligation du salut, les perquisitions non motivées, la profanation de nos églises transformées en écuries (Beauclair, Inor, Jonville, Lanhères, Marville), en dépôt de munitions (Marvaux), en cuisine (Cunel, Hannonville), en magasin à vivres (Saint Michel de St-Mibiel), en salles de concert ou de conférence.

A Halles on utilise les bancs de l'église pour installer un cinéma et à Viéville pour l'aménagement de "feuillées"de campagne. Les tenants de la religion réformée trouvent un malin plaisir à brimer les catholiques français et leurs prêtres. Et les descendants des Huguenots français, devenus Prussiens, (tel le Général von FRANCOIS (!)) paraissent prendre plaisir à une curieuse vengeance au dessus des siècles.

SAINT-MIHIEL

 Cette ville joue un rôle d'otage pendant quatre années. Lorsqu'ils occupent la ville le 24 septembre 1914, les Allemands regroupent la population au coeur de la ville et l'obligent à rester sur place. 2 180 habitants sont restés (sur 4 000 environ) auxquels s'ajouteront des réfugiés de Woëvre et des environs. En mai 1918, la ville compte 2 412 habitants, surtout des vieillards, des femmes et des enfants.

En maintenant sur place les gens de Saint-Mihiel, les Allemands entendent neutraliser l'artillerie et les unités françaises et s'y maintenir sans être obligés de livrer combat. Ils peuvent se permettre des prises d'armes à quelques centaines de mètres des premières lignes. En octobre 1916, l'Archevêque de Munich le Cardinal von Bettinger célèbre un office pontifical dans l'église de Saint Michel à moins de 1 500 mètres de nos lignes !....

Chaque soir des otages sont dirigés sur la caserne Senarmont régulièrement bombardée par notre artillerie. Celle ci et l'aviation française n'interviennent qu' avec une extrême prudence en particulier aux limites de l'agglomération, le long de la Meuse. Cependant on déplore à la fin de la guerre près de 70 victimes des bombardements.

Saint-Mihiel connut toutes les misères que nous avons évoquées en tête de chapitre. La plus malheureuse de toutes nos cités occupées, rien ne lui fut épargné. L'abbé Chollet, curé de Saint Etienne pendant l'occupation, apporte dans un ouvrage publié en 1926 une information ample et détaillée sur les drames de sa ville. Ses compatriotes ont pu regretter cependant qu'il mit injustement en cause son confrère, le doyen de Saint Michel, voire même son Evêque. 

STENAY

 La présence dans leur ville de l'Oberkommando de la Ve Armée et de son chef le Kronprinz impérial valut aux habitants de Stenay quelque atténuation à leurs malheurs. Leur illustre hôte y séjourna de septembre 1914 à février 1918, se comporta comme chez lui, au Château des Tilleuls, recevant le Kaiser, l'Impératrice, et sa femme.... la kronprinzessin. En l'absence de celle ci il trouva sur place de douces consolations et on lui prête de "folles équipées". "Un roman trop fameux, écrit Mgr Aimond en 1922, en prolonge encore aujourd'hui le scandale".... Il ajoute "les hommes en général restèrent fermes et se montrèrent en toute occasion bons et loyaux Français''. Ce qui rétablit la situation.

La présence de ce haut Etat Major valut à Stenay quelques bombardements aériens, en particulier celui de 4 juin 1915 qui causa douze morts et une vingtaine de blessés chez les Allemands. La ville fut taxée à un demi million de francs et une quinzaine de civils furent retenus en otages pendant deux semaines, en représailles...

En 1915, les Allemands firent rapatrier (via la Suisse) les instituteurs de l'école libre et les religieuses de l'hôpital. En revanche, en 1917 une cinquantaine de personnes du Nord et de la Somme furent "déportées" à Stenay.

En 1918, l'E.M. de la Ve Armée allemande quitta la ville. Il fallut une démarche personnelle de Ludendorff, en février, pour décider le Kronprinz, trop attaché à sa conquête, à rejoindre son Quartier Général....

MONTMEDY

 Occupée dés août 1914, la ville eut davantage à souffrir que les villages des alentours. Elle subit plusieurs bombardements de l'aviation française et en 1918 ceux de l'artillerie américaine.

Les Allemands y avaient installé trois hôpitaux.

A deux reprises des mesures de rapatriement par la Suisse furent décidées par l'occupant. Deux groupes d'otages furent également dirigés sur l'Allemagne et la Pologne.

Montmédy participa au lot commun : travail forcé, difficultés de ravi­taillement, pillages....

L'église de la Ville Haute fut dépouillée de ses cloches mais fait rare, et qui mérite mention : la petite cloche de la Ville Basse qui datait de 1547 échappa à la raffle grâce à l'intervention du Général von Gallwitz Commandant la Ve Armée, de religion catholique.... 

VIGNEULLES

 '`Dans l'opinion publique' écrit Christian Bettini, auteur de "la Guerre 14-18 à Vigneulles", aucune crainte, bien au contraire; on semblait souhaiter une confrontation entre les deux Pays. Chaque homme se sentait fort, chacun voulait se battre, reprendre l'Alsace et la Lorraine, effacer le désastre de 1870, aller en vainqueur à Berlin. Cet état d'esprit animait toute la population, les femmes encourageaient leur mari ou leur père à partir et à se battre"...

Au cours de la 2e quinzaine d'août, les troupes qui s'étaient installées solidement au début du mois aux abords de la ville sont dirigées sur Etain, Souilly...

Le dimanche 06 septembre, une patrouille allemande s'approche de l'agglomération. Du 06 au 13, plusieurs patrouilles la traversent sans incident sérieux.

Les 19 et 20 septembre, l'ennemi pénètre en force dans Vigneulles. Des maisons sont incendiées, des scènes d'orgies ont lieu. Trois habitants sont fusillés.

Christian Bettini fait état du journal d'une jeune fille de Vigneulles (Leonide Lefèbvre) et en cite quelques passages. La relation qu'elle fait de ces journées dramatiques est poignante.

Les rescapés de Vigneulles, initialement parqués dans un pré, fuient éperdus à travers champ, désemparés, d'abord vers Creue, Chaillon puis vers Saint Benoit.

..."Nous avions comme spectacle, écrit-elle, trois villages enflammés, Vigneulles, Hattonchâtel et Hattonville. L'air était plein d'une odeur de poudre et de fumée. Parquées comme des bêtes de somme par des soldats qui ne voulaient pas nous laisser circuler dans un pré à la sortie du village, exposées aux obus, nous avons assisté à l'agonie de notre pauvre Vigneulles. Les maisons étaient incendiées une par une avec méthode... Les animaux restés dans cette fournaise criaient à fendre l'âme. Les Allemands, triomphants, erraient dans la campagne, admiraient le spectacle ou bien se contentaient de boire"...

En avril 1915, les bouches inutiles de Vigneulles et des environs furent dirigées sur la France via Metz, Singen et Schaffouse et réparties dans diverses localités du Cantal.

Nombre d'autres cités, d'autres villes d'autres villages ont connu le sort peu enviable de cette occupation : Etain' Spincourt, Dun, Damvillers, Varennes très tôt évacuée.... et mériteraient certainement un paragraphe dans ce martyrologe, malheureusement limité. Mais ici et là, les misères sont les mêmes. Nombre d'autres cités, d'autres villes d'autres villages ont connu le sort peu enviable de cette occupation : Etain' Spincourt, Dun, Damvillers, Varennes très tôt évacuée.... et mériteraient certainement un paragraphe dans ce martyrologe, malheureusement limité. Mais ici et là, les misères sont les mêmes.

MARTYROLOGE DES POPULATIONS FRONTIÈRES DANS LA MEUSE

 

Soldat allemand pilleur

Mémorial de Montsec

artillerie

tranchées

Le département de la Meuse, occupé dans toute sa partie Nord et Est, a été cruellement éprouvé. Des localités entières: Rouvres, Revigny, Sommeilles, Triaucourt, Clermont en Argonne, etc..., furent anéanties volontairement, sans aucun motif d'ordre militaire ou opérationnel. Nous parlerons plus loin du village martyr de Rouvres. Citons quelques localités au hasard:

Sommeilles, réduit à un amas de décombres, fut totalement incendiée par le 51e régiment d'infanterie, les soldats étant munis d'appareils incendiaires. Détail affreux de cet épisode: Dans une cave incendiée on retrouva les cadavres de toute une famille (famille Adnot), baignant dans une mare de sang. Le mari, fusillé; son épouse, le bras coupé et jeté à quelques mètres de son cadavre, avec le sein droit coupé. Une fillette de l 2 ans tuée et violée. Trois enfants de 5 à 10 ans ayant la tête tranchée séparée du tronc et jetée à quelque distance des corps.

A Triaucourt, même furie: incendie du village, massacres et viols.

A Clermont en Argonne: 226 maisons sont incendiées; le pillage est total. Un enfant de 12 ans est fusillé à bout portant. Ces crimes portent la signature du général von Urach.

Et nous n'en finirions pas, car toutes les localités de cette région du Barrois subirent incendies, massacres et surtout viols.

ROUVRES 

Transportons nous donc à Rouvres, paisible village niché dans la plaine de la Woëvre. Rouvres est mort le 24 août. A midi et demi, les Allemands faisaient leur entrée, sous le commandement du lieutenant ­colonel X... Le soir, à 7 heures, ils se retiraient sous la poussée du 361é régiment d'infanterie française qui venait de livrer la bataille de Saint Jean les Buzy.

Ils se retiraient laissant derrière eux une localité entièrement rasée et des monceaux de cadavres de civils, hommes, trois mille soldats allemands séjournèrent pendant six heures à Rouvres; trois mille soldats qui se conduisirent en assassins.

Nous laissons la parole à un témoin oculaire de l'époque

" Pendant une heure, ce fut un vacarme indescriptible des maisons flambaient, des murs et des toitures s'effondraient. Des fantassins allemands pénétraient dans les im­meubles pour en chasser les habitants qui s'enfuyaient en désordre et en hurlant. Les femmes pleuraient, les enfants criaient, les hommes portaient les enfants en bas âge et par un raffinement de cruauté, les Allemands avaient cernés le village et ne faisaient sortir les habitants des maisons que pour avoir la joie de les refouler dans les flammes."

Vision d'enfer, s'il en fut jamais !En ces quelques heures tragiques, Rouvres était devenu un amas de décombres Les caniveaux ruisselaient de sang. Les cadavres s'amoncelaient dans les rues. Quarante quatre fusillés et vingt six brulés vifs dans l'incendie.

Il y a lieu de noter que le témoin réussit à s'enfuir en sautant un mur de jardin et que seuls furent rescapés ceux qui, malgré les précautions prises par les Allemands en cernant le village purent gagner les jardins et se terrer comme ils purent, à plat ventre, pendant ce carnage. Tous les êtres humains trouvés au village furent assassinés, sauf quelques rescapés du hasard.

L’affaire de Rouvres peut se résumer ainsi :

Furieux de la résistance du 361 R.I. français, rencontré à Saint Jean les Buzy, ce 24 août 914, poursuivis par le 65é B.C.P., les troupes bavaroises (toujours elles!), refluent en désordre sur Rouvres, évitant l'aile gauche (Etain), talonnée par les éléments français rescapés de la bataille de Mangiennes. Ces troupes bavaroises appartiennent à diverses unités disloquées, commandées par un lieutenant colonel qui n'a pu être identifié. Aucun accrochage sérieux ne les a surpris à Rouvres, si ce n'est quelques coups de feu isolés d'éléments français, eux aussi désordonnés, après cette mêlée de Saint Jean les Buzy

C'est donc uniquement pour venger leur défaite que ces éléments ennemis ont commis les forfaits qui ont valu à Rouvres le nom de « Rouvres la Martyre » .

Ce que nous pouvons affirmer est ceci: Rouvres fut incendié volontairement à 100 %.

Tout humain, sans distinction, homme, femme, enfant, vieillard, trouvé à Rouvres fut ou abattu séance tenante, ou brûlé vif, ou emmené en groupe au bout du village et fusillé, à l'exception unique de:

1°) ceux qui réussirent à s'enfuir et à se cacher à plat ventre dans les jardins ou les fossés;

2°)  ceux (une dizaine) qui, après avoir échappé par  miracle à la tuerie, furent sauvés par un gradé (non identifié), qui parlait le français très couramment. Il nous a été affirmé que ce gradé était représentant d'une grande brasserie de l'Est de la France, qu'il était bien connu dans la région avant les hostilités, et qu'il avait fait tout son  possible pour sauver de cette tuerie ceux qu'il avait pu.

Voici l'histoire de Rouvres, en bref. Rouvres assassinée volontairement, puisque le village fut cerné, avec ses 70 morts et ses maisons réduites en cendres.

Etain

Etain, important chef lieu de canton de la Woëvre, à 20 kilomètres de Verdun, devait aussi payer cher la résistance de nos troupes dans le secteur proche de Billy les Mangiennes. Le 13 septembre 1914, quelques obus épars tombaient aux environs de la ville, tirés des forts de Verdun. Les Allemands supposèrent que des signaux lumineux avaient été faits par des civils. Ils s'emparèrent donc de dix neuf otages qu'ils enfermèrent à l'hôtel de ville.

Le lendemain, quelques obus firent encore leur apparition et l'officier allemand s'empressa de rendre ces malheureux responsables, sous prétexte que de nouveaux signaux avaient été faits dans la nuit. Ces dix neuf otages étaient emmenés à l'extrémité ville, sur la route de Longwy et fusillés contre le mur d’une baraque de jardin.

Il s'agissait de : MM. L. Baudier; P. Boubel, F. Briclot ; L. Briclot; N. Cochenet; N. Gagne; P. Lambert; E. Maurice ;M. Michel; E. Paquier; J. Perignon; L. Royer; Ch. Schaeck ;E. Tabouret; Ch. Tharcys; A. Toussaint; E. Regnault ;J.Tabouret et Ch. Briy.

Il est à noter que, pour couvrir leurs forfaits vis à vis  de l'opinion internationale, les Allemands inventaient toujours un prétexte: tantôt la présence de franc tireurs; ailleurs —comme à Etain—des signaux, ailleurs des faits d'espionnage, au hasard des circonstances ou de criminelle imagination.

Dans la Woëvre

La Woëvre n'eut pas à enregistrer de tels massacres. Mais1a population subit des sévices qui, s'ils ne furent pas cruels, au sens du mot, n'en furent pas moins inhumains. Nous relatons d'autre part les déportations massives des  habitants. Mais il est bon de faire connaître leur sort, au cours de la période qui précéda ces exils. Dans la plupart de ces localités proches du front de Verdun ou du saillant de Saint Mihiel, les habitants furent arrêtés et parqués dans les églises, ni plus ni moins que du bétails. Les églises, transformées en prisons, furent alors le théâtre de scènes attristantes.

 Pêle mêle, enfants, femmes, vieillards, souvent au nombre d'une centaine, parfois plus, y séjournèrent pendant des périodes allant de trois semaines à deux mois, dans des conditions épouvantables. Couchés à même le sol ou étendus sur les bancs, faisant leurs besoins dans une tinette placée derrière l'autel, souffrant de la faim, du froid, tenaillés par l'incertitude du lendemain, les cris des enfants, les gémissements des vieillards traités comme du bétail parqué  sans hygiène et sans aucun contact avec l'extérieur, ces populations subirent un calvaire qui se chiffra par de nombreux morts. A Essey Maizerais, par exemple, localité de Meurthe et Moselle, limitrophe de la Meuse vingt-huit habitants périrent dans l’église en un  mois. Ces chiffres se répètent un peu partout. C'est ainsi que les communes meusiennes ci dessous subirent ce sort:

Combres sous les Côtes, Herbeuville, Hannonville, Dommartin, Montsec, Varvinay, Savonnières, Dompierre Vigneulles etc pour ne citer que quelques-unes.

Et pendant que les habitants de ces villages de la Woëvre gémissaient de faim, de soif, de froid, au milieu des enfants qui criaient et des vieillards qui geignaient lamentablement avant que l'on en retrouve le matin sans vie, sur les dalles des nefs ou allongés sur les bancs, cadavres déjà refroidis, les soudards pillaient maisons et caves, détruisant ce que des générations avaient accumulé, ce que des vies entières   faites de privations avaient économisé.

Nous le répétons: si ces populations de la Woëvre et de la Meuse, en général (à l'exception des faits cités plus haut)n'ont pas subi les horreurs des massacres et des incendies criminels, elles n'en ont pas moins souffert par d'autres méthodes.

Nous relaterons un épisode, pris entre cent, qui eut pour théâtre le petit village de Dompierre aux Bois, niché au pied des côtes de Meuse, non loin de Saint Mihiel. Le 22 septembre, les Allemands envahissent le village baïonnette au canon, ils entrent dans chaque maison et en font sortir tous les hommes qu'ils parquent dans la petite église, enfermés et sous garde. Le lendemain, c'est le tour des femmes, des enfants et des vieillards et la population entière se trouve enfermée dans  l’église.

Pendant cinq jours, sans la moindre nourriture ces pauvres gens attendirent dans l'inconnu et le 27, un obus tiré on ne sait d'où, tomba juste sur l'église (drôle de hasard!), tuant quarante des prisonniers et blessant le reste.

Sous les fatras de pierres, mêlés aux cadavres de leurs parents, de leurs enfants, au milieu des plaintes et des cris des blessés, les rescapés de ce drame restèrent trente heures  sans pouvoir sortir de cet enfer, sans le moindre secours, sans pouvoir aller chercher un peu d'eau pour mouiller les lèvres des mourants qui réclamaient à boire.

Ce n'est que le surlendemain que les Allemands ordonnèrent aux survivants de sortir. Après avoir fait enterrer les morts par les hommes encore valides, dans une fosse commune, ces survivants furent à nouveau enfermés dans la mairie, pendant dix jours, sans aucune nourriture, subsistant uniquement de quelques pommes de terre cuites à l'eau réservées, la plupart du temps, aux enfants.

Enfin pour terminer ces stations de calvaire, tous furent emmenés, sans pouvoir rentrer chez eux pour y prendre quelques vêtements, à pied jusque Metz et là déportés au camp de Landau ou Rastatt..

 Et un autre: A Combres, petit village situé sur le versant est de la Crête des Eparges, niché dans les mirabelliers et les vignes, les habitants ont vécu des heures tragiques qui, heureusement, n'ont pas fait de victimes, mais qui démontrent, s'il en était encore besoin, les diaboliques méthodes d'un ennemi implacable.

Le 22 septembre, les Allemands opéraient l'arrestation de toute la population et conduisaient tous les habitants dans un terrain où un abondant arrosage d'artillerie française interdisait le passage à leurs troupes. Leur but était clair: Les fantassins français étaient visibles sur la crête. Ils allaient apercevoir les civils et arrêter leur tir, ainsi que celui de l'artillerie. But tellement clair qu'ils autorisèrent les civils à faire des signaux avec leurs mouchoirs.

Ce qui devait arriver arriva. Nos soldats cessèrent le feu par égard pour cette masse compacte de civils et les troupes allemandes en profitèrent pour contourner la côte des Eparges.

Le lendemain, même manège. Les habitants de Combres servirent encore de paravents aux unités allemandes (procédés rigoureusement interdits par les Conventions de La Haye et de Genève) et à nouveau nos soldats cessèrent le feu.

Enfin, leur criminelle stratégie terminée, les Allemands enfermèrent les habitants dans l'église où ils restèrent entassés pendant cinq jours, puis ils furent dirigés sur Herbeuville et enfin déportés aux camps de Amberg et Rastatt.

La Woëvre a donc payé son tribut à l'invasion. Il faut en effet, revivre en pensée ces journées terribles. Il faut revoir ces troupeaux humains encadrés de casques à pointe vociférant et hurlant, ces mères portant leurs bébés, avec les plus grands accrochés à leur jupe et transis de frayeur. Il faut ajouter à ces visions d'enfer le sifflement des obus passant au dessus des têtes, ces regards furtifs jetés en arrière, avec comme tableau les villages flambants...

Et ces départs vers l'inconnu; ces cohortes de femmes, de vieillards, d'enfants qui, hélas ! ne subissaient encore que le purgatoire; l'enfer les attendait dans les wagons à bestiaux et les camps de déportation...

Et ce qui précède vaut pour d'autres lieux de la Meuse. La Woëvre Nord précitée, que ce soit la Woëvre Sud, de Saint Maurice sous les Côtes à Apremont la Forêt, ou les régions à l'est de Verdon, ou celles de Stenay, Montmédy, la Meuse a payé cher (la population civile, tout au moins), l'âpre défense de nos soldats sur les crêtes des Eparges et des côtes de Meuse, lieux des plus stratégiques, s'il en fut, puisqu'ils ouvraient tout droit les portes de Verdun et la route de Paris.

On a glorifié la victoire de la Marne. C'est juste! Mais la Marne n'aurait pu avoir lieu sans les nombreux points de fixation, soit en Meuse, soit en Moselle (Morhange), soit dans les Vosges ou les Ardennes.

Et partout ce sont nos populations civiles qui ont payé ces notes par leur martyre.

 

Précédente(villages détruits)           Sommaire         Suivante(arrières et souffrances)